Confinement et précarité

Les journaux de confinement fleurissent. Ils disent la longueur des jours et l’exiguïté des lieux, la perte d’horizon, le rêve du rayon de soleil sur la peau, le chahut des enfants et l’éloignement des proches…

Chaque jour, au travers d’échanges téléphoniques, nous recueillons un journal oral du confinement des femmes que nous accompagnons, il dit ce que nous lisons ailleurs sous la plume d’écrivains, d’artistes, de journalistes… Il raconte aussi la vie singulière qui conjugue confinement et précarité, il raconte l’ampleur intensifié du mal-logement, les espaces collectifs partagés, l’isolement redoublé…

Elle vit dans une banlieue lyonnaise, seule avec la maladie qui l’accompagne depuis plusieurs années. Son logement dégradé laisse entrer des souris avec lesquelles elle a appris à cohabiter faute de choix. Depuis peu, par un trou dans le mur, c’est un rat qui s’engouffre chez elle. Il court. Sous le lit, sur le lit. Partout. Le propriétaire viendra… Plus tard pour réparer le trou. Elle ne sait pas quand. Elle a cessé les ménages qu’elle effectuait au domicile des particuliers par peur de la contamination, pour eux, ou pour elle. Sans ressources, elle ne sait pas comment elle paiera le loyer du mois d’avril. Elle a fait un dernier plein de courses avant le confinement total. Depuis elle vit là, avec sa solitude, son balai, et un rat.

Elle vit dans un foyer dans le Beaujolais. C’est beau le Beaujolais au printemps. On y admire les arbres en fleurs, les vignes qui doucement reprennent vie quand le soleil darde ses premiers rayons… Elle occupe une chambre avec sa fille collégienne, et partage une cuisine collective avec les autres résidents de l’étage. La distanciation sociale relève chez elle du sport de haut niveau. Alors elle se lève tous les jours à 5 heures, cuisine quand tout le monde est encore endormi et s’enferme ensuite dans sa chambre avec sa fille. Dans ce huis clos de quelques mètres carré elles étudient, mangent, dorment… vivent dans l’attente de jours meilleurs.

Elle est hébergée par sa belle-famille. Cela fait plus d’un an. Voilà plusieurs mois que la situation est tendue, qu’elle sent qu’ils devraient partir, mais pour aller où ? Au temps du confinement, personne n’ose plus dire qu’il leur faudrait partir. C’est la famille. Mais il y a les regards et les non-dits qui parlent d’eux-mêmes. Et puis ils ne travaillent plus ni l’un ni l’autre, et ne peuvent donc plus participer aux charges de la maison. Au temps du confinement dans cet appartement-là, un homme, une femme, cherchent à devenir moins que leurs ombres pour faire oublier qu’ils sont là.

Elle a connu l’enfermement avant l’exil. Elle a connu de longs séjours en hôpitaux psychiatriques. Toutes deux ressentent à travers le confinement les échos de ce passé qui résonnent douloureusement.

Les journaux de confinement fleurissent, certains ne sont pas écrits tout juste murmurés dans le creux d’un téléphone, pleins de pudeur et d’humanité.

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