Loi immigration : n’abdiquons pas face à l’indignité

Dans le brouhaha et l’excès qui caractérise la période, il est parfois difficile de trouver les mots. La loi immigration adoptée après une série de négociations qui confinent à l’abject tant elles ont sacrifié l’exercice démocratique aux calculs politiciens, laissera dans l’histoire une marque durable sinon indélébile.

Elle vient consacrer une certaine défaite de la pensée et la volonté de fracturer la société pour mieux la dompter. Opposer les fragilités plutôt que tenter de les résoudre, faire l’amalgame entre la gauche et l’extrême droite, faire fi enfin des milliers de citoyennes et de citoyens qui sont allés voter dans un élan républicain pour faire barrage au RN en validant un texte directement inspiré de son programme, pour le jour d’après, espérer le voir censuré par le Conseil constitutionnel, tout cela est indigne.

Indigne et dangereux. Gouverner c’est travailler le long terme, porter une vision jusque dans la tempête, c’est aussi savoir reconnaître un échec, changer d’avis lorsque de multiples voix s’élèvent pour alerter du danger et de l’inefficacité d’une loi : chercheurs, responsables d’université, entrepreneurs, artistes, travailleurs sociaux, magistrats, avocats, médecins, associations… nombreux ont été ceux qui ont tenté d’argumenter, en vain. La raison a perdu face au déchaînement des passions haineuses.

Dans l’urgence, le Conseil constitutionnel invalidera peut-être, sans doute, certaines mesures, atténuant la brutalité du texte sans pour autant remettre en cause son fondement. Mais à moyen terme, cela abondera le discours populiste qui voudrait ici comme ailleurs dans le monde remettre en cause la Constitution et les engagements internationaux qui dérangent.

Face à l’abîme que faire ?

Nous avons à travailler notre colère pour qu’elle ne demeure pas stérile mais qu’elle nous donne les ressources pour résister. Même si la notion de droit est ici fortement blessée, le droit reste et doit rester en démocratie, l’outil de défense des plus faibles. Le droit est un outil du temps long et chacun sait qu’il faut plusieurs années pour obtenir un jugement de la Cour européenne à même de rappeler à la France sa devise et ses engagements. Les magistrats administratifs sont submergés, le rapport de la Cour des comptes l’a rappelé, par un contentieux qui tient plus de la Comedia Dell’arte que du travail de justice tant leurs décisions ont du mal à être suivies d’effet, qu’il s’agisse de l’exécution d’une OQTF ou de la délivrance d’un titre de séjour.

Sans oublier le droit, nous devons aussi élaborer des stratégies d’urgence. Les associations de l’hébergement ont déjà lancé une mobilisation (#sansnous), l’ensemble des acteurs (associations, réseaux d’entraide, paroisses et communautés religieuses, citoyens engagés à titre individuels…) doivent réagir fortement :

  • Par une mobilisation massive le 21 janvier prochain dans la rue à l’appel des syndicats et associations pour montrer que nous sommes nombreux à refuser qu’en notre nom soit votée une loi qui instaure la préférence nationale.
  • Par de nouvelles alliances à inventer pour créer un filet de sécurité autour et avec les personnes migrantes que nous accompagnons.
  • Par le refus des amalgames entre immigration, insécurité, et fanatisme religieux. Cela passe par la reconstruction des liens sociaux mis à mal, par une France qui se parle de la banlieue à la campagne, en passant par les centre-ville « gentrifié »…
  • Par une recherche de dialogue avec les préfectures qui connaissent leur territoire et ses problématiques mais qui n’ont souvent qu’une vision numérique des parcours migratoires. Nous devons redonner des visages et des histoires aux personnes que nous accompagnons, ensemble, acteurs de l’hébergement, de l’emploi, du soin et de l’accompagnement. Nous devons retrouver un chemin de dialogue malgré la dématérialisation qui a dissous les étrangers et leurs accompagnants dans un cloud brumeux.
  • Par le développement d’un réseau capable d’agir en droit rapidement et massivement. Cela passe par un travail pluridisciplinaire autour d’avocats pleinement mobilisés pour la défense des droits des étrangers. Le contentieux de masse doit redevenir une somme de parcours singuliers, chaque étranger qui se présentera demain devant un juge doit avoir un visage, un nom et une histoire et se tenir à côté d’un avocat qui sera présent pour le défendre et de citoyens présents parce que c’est en leur nom que justice est rendue.

PasserElles Buissonnières

Janvier 2024

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