Projet de loi asile et immigration : des amendements pour défendre le droit d’asile

  • Nous, soignants, médecins, psychiatres et psychologues,
    Nous, avocats spécialisés en droit des étrangers, et juristes associatifs,
    avons pris connaissance du projet de loi relatif à l’immigration et l’asile, et l’avons analysé à l’aune de nos pratiques professionnelles et des rencontres qui en découlent.
    Nous rejoignons l’avis du Conseil d’État du 15 février qui rappelle que suite à la réforme du CESESDA (2015 et 2016), le nouveau projet de loi présenté demain en conseil des ministres « ne peut même pas s’appuyer
    sur une année entière d’exécution de certaines des mesures issues de la loi du 7 mars 2016 qu’avait précédée la loi du 29 juillet 2015 » et déplore que « s’emparer d’un sujet aussi complexe à d’aussi brefs intervalles rend la tâche des services chargés de leur exécution plus difficile, diminue sensiblement la lisibilité du dispositif ».
    L’exposé des motifs de ce projet de loi se fonde sur l’accroissement de la pression migratoire, notamment depuis la Méditerranée, et oublie de préciser que cette pression s’exerce avant tout sur les pays de première
    arrivée, la Grèce et l’Italie. Il omet également de mentionner que la répartition des demandeurs d’asile préconisée par les règles européennes a peiné à se concrétiser.
    Le maniement des statistiques ne saurait faire oublier la réalité singulière de chaque femme, chaque homme, chaque enfant dont la vie s’écrit derrière des colonnes de chiffres. C’est de ces récits singuliers dont
    nous sommes quotidiennement dépositaires dans nos cabinets et nos permanences que découle le devoir de témoigner et de proposer.
    Il est louable de vouloir réduire les délais de la procédure d’asile et cela doit être encouragé à condition que cette réduction ne soit pas supportée par les seuls demandeurs d’asile. Le voyage jusqu’au pays où l’on peut espérer une protection est un voyage long et dangereux au cours duquel de nouvelles violences viennent s’ajouter à celles subies dans le pays d’origine. L’arrivée en France lorsqu’elle est l’étape finale, choisie par la personne ou imposée par le passeur, doit être l’occasion d’un répit, et doit laisser le temps aux soins lorsque ceux-ci sont nécessaires.
    Lors des précédentes réformes du droit d’asile, les réductions de délai ont été supportées par les demandeurs : temps laissé pour rédiger le dossier OFPRA réduit de 30 à 21 jours. De nouveau, le projet de
    loi prévoit une diminution du délai initial de 120 à 90 jours pour formuler une demande d’asile, et plus grave encore : le demandeur d’asile ne disposerait plus que d’un délai de 15 jours pour contester de façon motivée une décision négative de l’OFPRA devant la Cour Nationale du Droit d’Asile.
    Tout administré a deux mois pour contester devant une juridiction administrative une décision le concernant. Les demandeurs d’asile sont en l’état actuel du droit déjà soumis à un régime d’exception avec un délai de 30 jours. Porter ce délai à 15 jours rend impossible l’exercice effectif du droit au recours. En l’état actuel du droit, 30% des recours devant la CNDA font l’objet d’un rejet par ordonnance (sans audition du
    demandeur d’asile), d’où l’intérêt de disposer de temps pour motiver ces recours.
    Livrer le récit des événements traumatiques qui sont survenus nécessite du temps : le temps du soin, nous l’avons déjà évoqué, le temps de construire la confiance avec celle ou celui qui va mettre la vie en mots, le
    temps de la recherche qui viendra abonder ou infirmer le récit personnel. Ce temps là ne peut se contenter de 15 jours. L’écoute dans le cadre du soin des personnes traumatisées, nous apprend que, plus le traumatisme a été grave (viols, torture, interrogatoires violents, scènes de meurtre…) plus il leur est difficile d’en faire le récit la première fois. Il leur est nécessaire de raconter d’abord un récit édulcoré, ou de présenter sa propre histoire comme vécue par un autre… Il faut aussi que s’établisse une relation de confiance, être sûr que sera bien reçu par l’écoutant, un tel récit empreint d’horreur, de culpabilité de l’avoir vécu, de la peur de ne plus faire partie des humains pour avoir participé à de telles scènes. Cela se fait par petites touches successives et cela prend du temps.
    La réduction du temps de production du récit de vie invalidera la possibilité de rendre vraiment compte des traumatismes traversés qui rendraient juste et nécessaire le droit d’asile. C’est contraire au droit, à l’éthique et au discours politique qui rappelle régulièrement la nécessité de protéger les réfugiés.
    La langue dans laquelle le demandeur d’asile livre le récit d’une vie violentée, abîmée, humiliée, ne peut être que sa propre langue. Prévoir dans le projet de loi la possibilité d’une autre langue dont on estime
    « qu’il en a une connaissance suffisante » peut lui nuire. Toute la clinique relationnelle montre combien certaines choses intimes et douloureuses ne peuvent être évoquées que dans notre propre langue. Imposer
    une langue supposée connue peut conduire à des malentendus gravissimes : ainsi de ce demandeur d’asile syrien d’origine arménienne auquel la CNDA octroie un interprète en langue arménienne, langue qu’il ne maîtrise pas, et qui conclut au rejet de la demande d’asile au motif que la personne aurait menti sur ses origines. Il faudra l’honnêteté de l’interprète en arménien missionnée par le Tribunal administratif dans le
    cadre d’une audience de reconduite pour permettre au juge administratif de conclure que la personne était réellement syrienne et ne devait eu égard aux risques encourus, pas être reconduite en Syrie.
    L’entretien à l’OFPRA comme l’audience devant la Cour Nationale du Droit d’Asile doivent permettre au demandeur de s’exprimer dans sa langue maternelle ou à défaut dans une langue qu’il aura expressément et personnellement choisie, sans quoi nous prendrons le risque de passer à côté des risques encourus et de rejeter une demande pourtant réellement fondée.
    Enfin, livrer le récit de sa vie nécessite une rencontre, un échange de regards, une écoute du langage corporel qui dit parfois plus que les mots. La rencontre est impossible lorsqu’un mur fut-il écran, se dresse entre le requérant et son juge. Le développement des audiences en visioconférence permettra peut-être de réduire les délais mais le risque est grand qu’il réduise en même temps l’effectivité du droit d’asile que le projet de loi annonce pourtant vouloir renforcer.
    Le syndicat de la juridiction administrative l’a rappelé dans son avis sur le projet de loi : « Le projet vise à développer massivement le recours aux vidéo-audiences. Le SJA s’oppose avec force à ce projet. (…) Le principe pluriséculaire d’unité de temps et de lieu se trouve mis à mal. (…) L’écran de taille nécessairement limitée ne permettra pas au juge de se saisir de l’ensemble de l’atmosphère de la salle de retransmission et ne permettra pas de vérifier que le requérant ne subisse pas de pression de la part des forces de police. La retransmission faussera également la perception qu’a le juge des personnes, de leurs récits et des plaidoiries de leur conseil. »
    Pour que soient pleinement pris en considération le temps du droit et le temps du soin, nous demandons a minima :
    -le maintien du délai de 30 jours laissé au demandeur d’asile pour introduire son recours devant la Cour Nationale du Droit d’Asile
    – la garantie pour le demandeur d’asile de pouvoir s’exprimer dans sa langue maternelle ou à défaut dans une langue qu’il aura librement choisie, et en aucun cas dans une langue
    imposée par l’administration
    –  l’abandon du projet de vidéo-audiences, tant devant la Cour Nationale du Droit d’Asile que devant la juridiction administrative ou le Juge des Libertés et de la Détention.
    Si le projet de loi était voté tel que présenté par le gouvernement, nous aboutirions à une multiplication des déboutés de l’asile et des clandestins inexpulsables, en passant à côté de la reconnaissance de multiples souffrances. La maltraitance est une option contraire aux droits fondamentaux, elle constitue aussi un risque pour la société qui l’exerce.
  • Dr Valérie CADIOU, Laure CHEBBAH-MALICET présidente de PasserElles Buissonnières, Françoise
    CROZAT-FANGET psychologue, Marie-Noëlle FRERY avocate au Barreau de Lyon, Dr Jean FURTOS
    psychiatre, Marion HUISSOUD-GACHET juriste, Madeleine JAYLE avocate au Barreau de Lyon, Joëlle
    SAUNIER présidente de Tiberius Claudius, Dr Pyët VICARD psychiatre.
  • Retrouvez nos propositions : PJL argumentaire et amendements 20_02_18
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